LE PRINTEMPS

 

La nature poursuit son cycle que nous espérons infini, offrant à nos regards émerveillés toute la palette de ses vives couleurs. 
  Les arbres en fleurs donneront bientôt des fruits, puis des graines. Les jeunes pelouses, nouvelle peau de cette terre bienfaitrice, sont criblées de jeunes pousses de pissenlits.
  C’est le printemps. Les animaux vont par deux, tous occupés à l’éducation de leurs petits ou à la recherche de leur pitance. Les couples se promènent, profitant des premières chaleurs du soleil. Tous ont oublié les rigueurs de l’hiver et chacun cherche à profiter des bienfaits de la nouvelle saison. Oubliées les froides et longues soirées où l’on cherche le réconfort au coin du feu ! Oublié le blues de fin de journée quand on réalise s’être levé sans le soleil et que l’on rentre à la maison alors que la nuit est déjà tombée ! Oubliés la corvée de bois, la compagnie des enfants énervés et confinés dans la maison, les visites chez le médecin pour les angines et les gros rhumes hivernaux, l’attente des beaux jours ! 
  N’attendons plus ! Le soleil est là. A nous les apéros sur la terrasse qui se prolongent parfois bien tard mais qui nous font tellement de bien. A nous les samedis de jardinage et de tonte qui sont bien fatigants mais qui nous rapprochent un petit peu de la nature. A nous les dimanches en chaise longue, goûtant le soleil sur nos peaux.

   A nous la liberté d’être dehors et sans contrainte. A nous, les mobylettes pétaradantes qui font le tour du quartier. A nous, les chaînes stéréo déversant leurs décibels par les fenêtres ouvertes parce que tondre sans la musique c’est impossible, ou tout simplement pour le plaisir.
  Le plaisir de qui? Je me le demande à chaque fois. Mais je m’égare, et cela m’entraîne à penser que le printemps retrouvé, c’est surtout la liberté retrouvée, et pour beaucoup d’entre nous, cela devrait être l’apprentissage de la liberté retrou
vée. 

  Car enfin, si les oiseaux sont libres comme l’air, ce n’est pas une raison pour qu’ils embêtent leurs voisins de nichée, et leurs voix se taisent «à l’unisson» si j’ose dire, lorsqu’il devient raisonnable de ne pas gêner les autres.

  Mes frères et mes sœurs, prenons exemple sur les oiseaux qui, notons-le, chantent leurs propres compositions et ne se bornent pas à tourner le bouton de volume d’un transistor pour s’abreuver de goualantes standardisées et prémâchées. 

  Soyons relax et tolérants ! C’est le printemps, tout va bien. Alors, à nous les longues balades sans souci de parapluie ou d’imperméable.

 Justement, voici un petit chemin vicinal qui s’enfonce dans les bois. Juste un ruban de macadam sur lequel il est presque impossible que deux véhicules se croisent. Nous marchons sur cette route, légèrement abrités du soleil sous les frondaisons, à l’écoute des chants d’oiseaux qui se sauvent à notre approche en faisant tressaillir les buissons. Le temps n’existe plus et nos pas semblent nous conduire dans une autre dimension. Ici, la vie s’écoute, le calme chante dans l’air, la formidable débauche d’activité que l’on devine alentour se traduit par un subtil bruissement qui frémit et caresse nos tympans. Nous avançons lentement à l’écoute du renouveau de la vie.

 Soudain à quelques mètres de nous un hérisson sort d’un buisson. Il trottine sur le bitume, s’immobilise, s’étire de tout son long. Moi qui pensais que cet animal était plutôt sphérique, je suis surpris par sa longueur. Il s’étire sur le bitume chauffé de soleil. Nous l’observons. Son petit museau cherche de gauche à droite une présence. Il nous a devinés. Nous ne bougeons plus, attentifs.

 Le silence se fait et laisse  place à un vrombissement dont l’intensité augmente rapidement. Le hérisson semble inquiet. Il jette un regard apeuré dans notre direction. Nous n’y sommes pour rien. Une voiture approche à faible allure. Par les vitres baissées, on peut voir le conducteur et sa compagne, tous deux accoudés à leur portière. Visiblement, ils goûtent également à leur façon la douceur de cette journée printanière en circulant à faible allure sur ce chemin forestier.

 Le véhicule approche, le hérisson s’angoisse. Il hésite, avance, fait demi-tour. Les roues filent sur l’asphalte dans un chuintement de succion, la trajectoire est rectiligne et implacable. Une main posée sur le volant, le conducteur regarde dans notre direction, nos regards se croisent, le véhicule nous dépasse et disparaît, aspiré par la voûte de verdure qui semble se fermer sur son passage.

  On ne dira jamais assez l’injustice qui règne dans les rapports journaliers et anonymes mettant en scène l’homme et la nature.